On vit vraiment une époque formidable... Saviez-vous que la Grèce, la France, l'Angleterre, l'Espagne étaient notées comme des entreprises par les institutions financières? Dans la presse ces dernières semaines, on peut lire - je cite - "la note de la Grèce a été dégradée par Fitch à BBB-".
J'imagine que le commun des mortels doit se demander ce que cela veux bien pouvoir dire! Est-ce que la Grèce va devoir prendre des cours du soir pour ne pas redoubler? Et puis, qui sont ces êtres qui se cachent derrière Fitch? Quel est ce système qui permet à des agences de notation privées de distribuer des notes à des civilisations millénaires, alors qu'elles se sont avérées totalement incapables de prévoir la gigantesque crise financière qui vient de secouer la planète?

Pour être honnête, il est clair que les gouvernements qui se sont succédé à la tête de la Grèce depuis l'introduction de l'Euro ont non seulement gravement laissé dériver les finances publiques, mais également dissimulé la gravité de la situation à leurs pairs. Dans ces conditions, on pourrait trouver normal que les principaux pays industrialisés soient dans l'obligation de convaincre les agences de notations de la viabilité de leur économie. Après tout, les nations doivent comme les entreprises trouver des financements et emprunter sur les marchés, alors pourquoi pas recevoir une note comme c'est le cas pour toutes les grandes entreprises?
Aujourd'hui, les ministres des finances de presque toutes les nations lourdement endettées font donc régulièrement leur tournée - on appelle ça un "road-show" - auprès des investisseurs pour convaincre de la santé financière de leur pays. En pratique, un road-show consiste à rencontrer des analystes financiers - qui n'ont souvent jamais fait d'autre métier depuis leur sortie de l'école - selon un format standard qui impose en général entre 10 et 14 présentations d'une demi-heure par jour... Inutile de dire qu'avec ce rythme infernal, il est pratiquement impossible de se rappeler le lendemain de ce qu'on a dit la veille et à qui ;-)
Bref, le road-show c'est une sorte de "speed-dating" financier destiné à rassurer les marchés sur l'intérêt pour des actionnaires à investir sur votre projet, et tous les chefs d'entreprise cotés en Bourse (j'en fait partie) on l'habitude de se plier tous les semestres à cet exercice un peu surréaliste dont personne, jamais, ne questionne l'utilité ou le format...
Bon, c'est un moment un peu pénible, mais il faut bien s'y coller, et il n'est pas rare de croiser dans l'avion pour Londres un grand patron du CaC40 qui va rencontrer les mêmes analystes que vous! Tout le monde est d'ailleurs logé à la même enseigne, et la différence se résume finalement à la limousine qui suit les déplacements du patron du CaC40, tandis que le patron de PME cotée courre d'un rendez-vous à l'autre en essayant d'attraper les taxis avec sa valise à roulette à la main...
Dans le cas particulier de la Grèce, c'est tout de même assez incroyable d'imaginer le ministre des finances et le premier ministre faisant leur tournée ensemble pour convaincre les jeunes financiers de la City de la viabilité du projet "Grèce". S'agissant du berceau des civilisations européennes, on imagine que Platon doit se retourner dans sa tombe et que Socrate - si il était encore parmi nous - choisirait directement de boire la ciguë sans avoir été auparavant condamné à mort!
Mais tout cela n'aurait finalement aucune importance si ces notations ne venait pas alimenter la rumeur prédisant la possible fin de l'Euro - ou au minimum la sortie de l'union monétaire pour les pays les moins performants de l'union. Au plus fort des tensions entre les nations européennes pour trouver un règlement à la crise grecque, on a même entendu des commentateurs avisés nous annoncer que l'Allemagne envisageait sérieusement une réapparition du mark, avec comme corollaire le retour en vogue dans les milieux financiers anglo-saxons de l'acronyme "Pigs", façon méprisante de désigner les pays du sud de l'Europe - Portugal, Italie, Grèce, Espagne - censés plomber la monnaie unique par leur manque de rigueur...
Comme d'habitude, les cassandres sont donc tous sur le pont pour nous annoncer que la fin du Monde est proche, faisant ainsi le régal de spéculateurs qui jouent les écarts de change entre les monnaies mondiales pour générer des plus-values énormes totalement décorrélées de l'économie réelle.Pourquoi je vous raconte tout cela? Tout simplement parce qu'en réalité, il n'y a pas vraiment de crise de l'Euro.
En effet, malgré cette spéculation effrénée contre l'Euro, malgré la crise grecque et les doutes sérieux sur la santé financière de l'Espagne, malgré une reprise économique Européenne totalement anémique comparée à la Chine et aux États-Unis, malgré des niveaux de dette publiques totalement extravagants pour une partie signifiante des membres de l'Union, et malgré des déficits budgétaires souvent abyssaux, la parité entre l'Euro et le Dollar reste très supérieure à ce quelle était en 2000 - année précédant l'introduction des pièces et billets en Euro - à savoir 1 Euro qui valait à peine 1 Dollar...
Pour être franc (et sans jeu de mot), c'est même plutôt ennuyeux pour les entreprises massivement exportatrices comme celle que je dirige qui voient leurs revenus en Dollars amputés par un cours de l'Euro qui reste finalement très élevé. Nous on aimerait bien que l'Euro se calme un peu et redescende à des niveaux plus raisonnables!
Au final, l'Euro est au contraire en train de démontrer que le pari de ses fondateurs, celui de créer une monnaie solide capable de prendre sa place auprès du Dollar et du Yen est en passe d'être gagné. Rien de tel qu'une crise comme celle que nous vivons actuellement pour le mettre en évidence!
Cette situation nous donne une nouvelle occasion de constater que l'appréciation d'une situation économique ne peut se faire au gré des commentaires - qui ne font en général que refléter la perception instantanée des milieux financiers - dont le moins qu'on puisse dire est qu'ils n'ont pas démontré leur capacité d'anticipation sur la période récente...
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Photo Efzones (c) Epa

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11Apr2010